mercredi 3 octobre 2012

« Chevaliers ! » (1)






Le hummer fonçait à travers les dunes de sables en suivant la route numérique tracée par le GPS de Sélène. Assise à côté d’Achille qui conduisait l’engin, elle avait sorti la tête par la fenêtre et faisait la vague avec un bras. Elle se sentait revivre.

-          Enfin du vent ! De l’air !  cria-t-elle, trop heureuse pour modérer son niveau sonore.

Mais même ses éclats de voix ne parvenaient pas à arracher le moindre sourire aux trois adultes du groupe. Simon avait une mine grave et pensive. Achille, malgré son petit sourire qui ne disparaissait jamais entièrement, n’avait vraiment pas l’air dans son assiette. Et que dire d’Alban ?

-          Ben alors, qu’est-ce qui ne va pas ? Vous en faites des têtes d’enterrement, les chapi chapo !

Myrien était assis à l’arrière, entre Simon et Alban. Lui aussi avait ressenti comme un froid se répandre chez ses compagnons de route. Mais comment parler d’une intuition de ce genre à des gens normaux ?

-          J’aimerais que nous nous arrêtions quelques minutes, lâcha Alban sans prévenir.

-          Quoi ? s’étonna Sélène. Mais…

Achille ne discuta pas la demande de son frère et s’arrêta tout net, comme s’il n’avait attendu que ça.

-          Un problème ? demanda Myrien.

-          Besoin de prendre l’air, s’excusa le porteur.

Sans s'étendre davantage, celui-ci sauta du véhicule et partit escalader une dune. Tous le regardèrent s’éloigner. Lorsqu’il fut enfin arrivé en-haut, il s’assit à même le sable brûlant, dos au groupe, et ne bougea plus. Les autres quittèrent le hummer à leur tour.

Achille essaya d’atténuer le climat pesant qu’avait provoqué le départ d’Alban.

-          Je pense qu’il a besoin de respirer un peu, dit-il. Il n’est pas habitué à utiliser la voiture, alors imaginez-vous ce que toutes ces bosses doivent représenter pour son estomac !

Incapable de résister, la jeune fille enchaîna :

-          Un porteur qui a le mal des transports. Nan mais elle est bien bonne quand même, hein ?

Achille et Sélène rirent de bon cœur et entamèrent la conversation en marchant pour se dégourdir les jambes. Simon en profita pour se tourner vers Myrien.
-          Quoi qu’il en soit, fit-il, voilà une très bonne occasion pour faire plus ample connaissance. Les longs trajets m’endorment et les pauses m’ennuient. Nous pourrions en profiter pour discuter un peu de choses intéressantes, n’est-ce pas ?

-          De quoi voulez-vous discuter d’intéressant ? demanda Myrien, qui regretta immédiatement son ton cassant.

-          Pour entrer directement dans le vif du sujet, je me demandais si tu savais d’où pouvait bien provenir la force dont tu as fait preuve il y a deux jours en tirant Sélène de son mauvais pas.

Dans son esprit, Myrien fut instantanément sur ses gardes.

Comment peut-il savoir cela ?

Les sourcils du scientifique se soulevèrent d’un candide amusement. Ses yeux verts brillaient de malice.

-          Ho ho ! Avec un regard pareil, j’aurais presque peur que tu utilises cette même force sur moi, vraiment.

Myrien chercha Sélène du regard. Celle-ci était toujours occupée à discuter avec Achille à quelques mètres de là. Il réfléchit à toute vitesse. Dans le doute, il essaya de lui en faire dire davantage. Que savait-il d’autre ?

-          Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, lâcha-t-il malgré lui.

Bravo ! T’aurais pas pu trouver moins cliché comme phrase ? Lui crier directement qu’il avait raison, par exemple ?

Un éclair d’amusement brilla dans les yeux du scientifique.

-          Voyons Myrien, n’oublie pas que Sélène faisait l’objet d’une surveillance de chaque instant et que de mon côté j’avais pris mes dispositions pour que les écouteurs soient eux-mêmes écoutés. Je sais malheureusement tout ce que vous avez pu échanger depuis votre rencontre. Enfin, votre seconde rencontre, si nous tenons compte de cet accident dont tu as parlé.

Le jeune homme sentit un filet de sueur froide couler dans son dos. Il se sentait piller de tous ses secrets. Toutes ces choses qu’il avait gardées si précieusement pour lui pendant de si nombreuses années, depuis son enfance, voilà qu’elles avaient été livrées à une horde de scientifiques sans aucune morale.

Et indirectement, l’homme qui lui apprenait cela en faisait parti.

-          Que voulez-vous savoir à ce sujet ? Que savez-vous exactement ? Dans quel camp êtes-vous finalement ?

Les yeux couleur vert émeraude de Simon brillèrent davantage au soleil lorsqu’il répondit. Simon, ce scientifique d’apparence frêle et souffre-douleur officiel de Sélène, ne semblait plus habiter ce corps. A présent Myrien y voyait le reflet exact de la grande puissance qu’il avait ressentie la veille, cachée derrière la porte de la bibliothèque.

-          Et toi, Myrien, fit l’aîné du groupe en plongeant son regard dans le sien comme s’il cherchait un indice infime au plus profond de son âme, quand le moment sera venu de prendre la décision, quel camp choisiras-tu ?

-          De quoi parlez-vous ?

-          Ne le ressens-tu pas ? Est-ce que tu ne sens pas, ici, précisa Simon en posant son index sur la poitrine de Myrien, une lourdeur inhabituelle ?

Pour une raison qui lui échappait totalement, le jeune homme se sentait complètement paralysé par le regard de Simon. Celui-ci l’avait plongé dans un état de conscience profonde dans lequel il n’était que concentration, écoute, et honnêteté. Oui, il ressentait une sorte de trop plein, une gêne dans sa poitrine. Une sensation de mal-être qui n’avait cessée de grandir depuis qu’ils avaient quitté la ville. Pourquoi n’y avait-il pas été plus attentif avant ce moment ?

Myrien acquiesça. Simon continua.

-          Les autres n’y croient pas. Ils ne veulent pas y croire et c’est tant mieux. Mais comme moi, ils ont entendu ton récit et, comme moi, ils préféreront te voir mourir plutôt que de te laisser entrer dans le camp adverse. D’ailleurs, si tu as effectivement ressenti en toi l’homme des étoiles, comme tu l’appelles, il se pourrait bien qu’ils t’achèvent avant même de te proposer quoi que ce soit.

C’est du délire, pensa Myrien. Ce qu’il raconte n’a absolument aucun sens !  Et pourquoi est-ce que je l’écoute ? Dois-je en parler à Sélène ? Il y a un quelque chose en lui, comme à la bibliothèque. Un pouvoir contenu… c’est immense ! Sélène saurait quoi faire dans cette situation ?

-          Je vois bien ce que tu penses, mais Sélène aussi ressent ces choses dans sa poitrine, tout comme toi en ce moment. Bien plus, d’ailleurs. Il faudra que j’aie une discussion avec elle aussi, mais ça c’est une autre affaire et elle peut attendre. La situation est devenue assez pressante depuis quelques minutes, vois-tu. (Il toussa, gêné : ) Non, bien sûr que tu ne vois pas.

-          Qui êtes-vous ? articula Myrien.

Simon ignora sa remarque. Les yeux toujours fichés dans ceux du jeune homme, il le jaugeait ouvertement. Il parut réfléchir un instant, puis se décider.

-          Tu vas effacer cette discussion de ta mémoire consciente à l’instant où mes yeux auront cessé de regarder les tiens, m’entends-tu ?

Myrien fronça les sourcils mais hocha tout de même la tête. L’autre continua.

-          Cependant, les réflexions qu’aura provoqué notre petit échange continueront de te faire réfléchir consciemment et lorsque nous serons à nouveau face à face, les yeux dans les yeux comme maintenant, et que je te révélerais mon identité, tu recouvreras la totale mémoire de notre entretien, y comprit le sentiment que tu éprouves en cet instant, qu’il soit peur, dévotion, ou quoi que ce soit d’autre. Et d'ici là, interroge-toi bien sûr le camp que tu choisiras.

-          Et bien les tourtereaux, on fait bande à part ? lança Sélène en se rapprochant des deux hommes.

Simon détacha immédiatement son regard du garçon et lâcha à la cantonade, retrouvant son ton habituel :

-          Mais dites-moi, c’est une bien longue pause que nous avons fait là. Je vais aller chercher Alban pour lui dire de replacer son estomac là où est sa bonne place. Il est temps de reprendre la route !

Et il s’en alla d’un pas guilleret, ne manquant pas de s’étaler de tout son long en grimpant la dune sur les traces d’Alban. Sélène se plaça à côté de Myrien.

-          Si ça continue comme ça il va falloir l’abattre, fit-elle en regardant le scientifique se fouler la cheville et redescendre la pente en roulant. Quoique, ajouta-t-elle en souriant lorsqu’il se relevait pour rejoindre son porteur, peut-être qu’il pourra encore nous tenir quelques kilomètres…

Myrien était pensif.

-          De quoi avez-vous parlé avec Achille ?

Sélène lui jeta un regard amusé.

-          Jaloux !

Il fit semblant de n’avoir rien entendu.

… Et lui, de quoi avait-il parlé avec Simon ?

***

Assis sur le sable depuis le début, Alban n’avait toujours pas bougé d’un iota. Il avait cherché à se positionner très exactement face à cette direction qui lui brisait le cœur et n’avait pas esquissé un geste depuis.

Simon arriva dans son dos, observa comme lui une destination bien trop lointaine pour être perçue avec les yeux.

-          Nous devons reprendre la route. L’enjeu est trop grand.

Comme Alban ne réagissait pas, il posa la main sur l’épaule de son ami. Ce contact tira enfin une larme au porteur.

Maintenant ce geste protecteur, Simon s’abaissa au niveau de la tête de son compagnon. Tous deux étaient tournés vers cet horizon de sable où chaque dune se ressemblait, observant pourtant un même point invisible au loin. Simon chercha ses mots. Ne les trouva pas. Alors il resserra sa poigne sur l’épaule d’Alban et laissa simplement parler son cœur.

-          Nous les vengerons, mon ami. Je te le promets, chuchota-t-il.


***


Ils arrivèrent en fin d’après-midi à une petite distance des trois pyramides de Gizeh. Myrien ouvrait de grands yeux globuleux devant le spectacle, mais les quatre chercheurs sourirent de sa candeur.

-          Tu ne pensais tout de même pas que n’importe qui pouvait se rendre aux pyramides sans autorisations, n’est-ce pas ?

Myrien n’y avait jamais songé. Trop occupé à regarder pour répondre, ses yeux s’attardèrent un moment sur la foule de touristes et les dizaines de cars de transports massés plus loin, puis ils se posèrent sur le plus inattendu. Les barrières. Les trois pyramides étaient entourées de barrières qui taillaient un périmètre plus que respectable autour des monuments.

-          Et oui, ajouta Alban, c’est un peu comme si…

Achille le coupa sans faire attention.

-          Rassurez-moi, les jeunes, on n’est pas censé aller dans une pyramide n’est-ce pas ? C’est pas que ça me gène de profaner des tombes géantes. J'ai des mauvais souvenirs…

-          Pour votre information, les pyramides de Gizeh ne sont pas et n’ont jamais été des tombeaux, fit la jeune chef de l’expédition.

Ils la regardèrent tous comme si elle venait d’une autre planète.

-          Je croyais vous l’avoir déjà dit pourtant. A leur découverte, les chercheurs ont cru déterrer d’énormes silos à grains, à cause d’un conduit qui relie les salles du cœur des pyramides à l’extérieur. Finalement, ils ont jugé que c’était des tombeaux royaux pillés il y a longtemps, car aucun corps n’a jamais été retrouvé à l’intérieur.

Comme personne ne savait quoi répondre, et fière qu’elle était d’apporter un peu de culture à son entourage, elle poursuivit son exposé.

-          Au final, les égyptologues n’ont quasiment plus leur mot à dire. La version officielle de l’utilité et de la méthode de construction des pyramides est maintenue par le responsable égyptien et quiconque donne une autre version peut se voir refuser les fouilles et réduire sa carrière en miettes.

-          Un peu ce qui t’est arrivée, si je comprends bien ? demanda Myrien.

-          C’est exact. Mais ce n’est pas grave car nous n’aurons pas besoin de nous rendre aux pyramides.

-          Vraiment ? fit Simon.

-          A la bonne heure ! lâcha Achille.

-          Bon, pour faire simple, les trois pyramides forment ensemble la ceinture de la constellation d’Orion, également appelée le baudrier. Leur taille, leurs emplacements, leurs écartements l'une par rapport  aux autres sont proportionnels aux trois étoiles. J’ai constaté  d’énormes similitudes entre les anciens textes sur Orion et ceux sur les pyramides, les dynasties égyptiennes, mais aussi des similitudes avec des nœuds telluriques…

-          Cette gamine est cinglée ! éclata Achille sur le ton de l’humour. On suit une gamine parce qu’elle a repéré des nœuds telluriques !

-          Euh… qu’est-ce que c’est exactement, un nœud tellurique ? demanda le seul ici qui n’y comprenait rien.

-          Bon, pour faire simple, c’est un endroit, un point précis où des énergies terrestres s’accumulent, se conglomèrent, et forment un nœud dont elles ne peuvent pas se défaire, ce qui permet entre autres aux chamanes d’utiliser ces énergies.

-         

-          Faites-moi confiance ! Myrien, tu as toujours ton gaussmètre ?

Il acquiesça et Sélène reprit la parole avant d’entendre sa réponse.

-          Alors, sors-le. Nous en aurons besoin très bientôt. On se dirige vers la tête.

-          Une seconde, jeune fille, lança Simon. Je suis tout à fait disposé à te suivre et à te donner mes informations capitales, mais je crois qu’il serait plus… Hum… judicieux d’attendre la nuit pour agir. Si j’ai bien suivi ton raisonnement, notre lieu de fouille se trouve, proportionnellement parlant par rapport aux trois pyramides de Gizeh, là où se trouverait la tête d’Orion par rapport au baudrier de la constellation éponyme.

-          C’est bien résumé.

-          Et, pour ma part, bien que je ne trouve aucune logique à cela, je pense qu’il serait souhaitable de ne pas nous faire repérer en creusant à tout bout de champ non loin des pyramides ultra-surveillées et, qui plus est, sans autorisation.

-          Bon, puisqu’il faut tout vous répéter… (Sélène ferma les yeux pour chercher ses mots. Sans doute aussi, pensait Myrien, pour ne pas insulter copieusement son collègue scientifique.) Uru-Anna, fit-elle simplement. "Uru-Anna" est un mot sanscrit signifiant Lumière des cieux. Pour moi, il n’y a aucun doute que le mot « Orion » est un dérivé de l’ancien langage. On retrouve d’ailleurs la constellation d’Orion dans toutes les grandes civilisations et je suis persuadée que c’est un indice fort. La Lumière des cieux, ce n’est pas le soleil, qui correspond plutôt à la lumière d’un seul ciel, celui du jour. Il n’y a que l’espace qui nous permet de voir « les cieux ». Bref, pour faire simple : bien sûr, mon cher monsieur Dietrich, que nous allons fouiller de nuit. Mais pas pour satisfaire votre couardise et vos délires de discrétion. Nous chercherons de nuit car c’est le seul moment où nous pourrons trouver le casque. Le moment où nous serons aptes à le voir, lorsque nous voyons la lumière des cieux, les étoiles.

Achille se grattait son menton imberbe.

-          C’est un peu tiré par les cheveux tout ça, non ?

-          Tu es bien placé pour parler de cheveux, mon ami, le tança Simon en appuyant son regard sur le crâne chauve d’Achille, qui ne répondit pas à la remarque. Avec tout ce que tu as vécu, tu devrais pourtant être prêt à accepter beaucoup d’explications farfelues, non ?

-          C’est pas faux, fit-il en cachant ses mains dans ses poches. Bon, imaginons que tout ça soit un cheminement à suivre. Où on va et qu’est-ce qu’on fait ?

-          On attend, dit Sélène.

Un silence de mort s’installa sans prévenir. L’air devint lourd et sombre.

-          Un problème ? demanda Myrien.

-          Je n’aime pas ça, fit la voix d'Alban, soudain rauque et alerte.

Alban semblait tendu à craquer et Simon intervint.

-          Notre ami a tout à fait raison. Nous devrions rester en mouvement. J’ai l’impression que quelques hommes de la sécurité, sur notre gauche, ont posé un peu trop souvent le regard sur nous. Et puis je ne voudrais pas que d’autres chercheurs nous repèrent. Je vous rappelle qu’ils nous suivent peut-être depuis la France.

La remarque fit mouche et tous se contractèrent davantage, excepté Achille, perdu dans sa nonchalance naturelle. Cela faisait quelques heures qu’ils se connaissaient tous les cinq, et pourtant un véritable lien s’était crée entre eux durant la traversée du désert.

Sélène, comme à son habitude, se décida à prendre les devants.

-          Bon, puisqu’il ne faut pas rester en place, déplaçons-nous ! Je vais repérer les lieux avec le gaussmètre.

-          Si vous permettez, intervint Simon, j’aimerais profiter de cette fin d’après-midi pour visiter les pyramides. Un peu d’exercice ne me fera pas de mal et j’ai toujours voulu voir ça de près.

-          Tu as des billets d’entrée pour la visite ?

-          Non. Mais je suis sûr que quelques billets à trois chiffres suffiront. Nous nous retrouverons ici ce soir.
Le scientifique s’éclipsa avec un clin d’œil et s’inséra dans une masse de touristes grecs. Il s’éloignait d’un pas guilleret et faillit s’étaler, une fois de plus, puis disparut dans la foule.

-          Et maintenant ? demanda Myrien.

-          Nous allons partir vers le Nord. Je veux vérifier que les sites internet et les livres que j’ai consultés disent vrai. Je veux vérifier la présence de magnétismes là où devrait se trouver la tête d’Orion.


-          Il y a quelque chose que je ne comprends pas, dit Myrien lorsqu’ils se furent bien éloignés des pyramides. Je croyais que tu avais retrouvé un morceau de métal pouvant appartenir au casque d’Orion sur une île inhabitée de Norvège. Si c’est le cas, qu’est-ce qui te permet de penser que le casque se trouve bel et bien ici, en Egypte ?

-          Longue histoire. C’est mon père qui m’a laissé des indices dans ses feuilles de recherches. Il y a deux ans, j’ai forcé son coffre. Personne n’en connaissait le code ni même l’existence. Je l’ai découvert à Dingle. C’est grâce à ces documents et des bribes de réflexion que j’ai compris qu’il fallait oser chercher dans le domaine de l’ésotérisme, du paranormal, appelle ça comme tu veux.

Alban se pencha en avant, ouvrit la bouche, mais Achille posa sa question avant lui.

-          Ton père s’intéressait au paranormal ? C’est presque étrange pour un scientifique.

-          Détrompe-toi ! De nombreux scientifiques étudient ce que les non initiés appellent "le paranormal" et cette branche spécifique de la science porte le nom de zététique.

-          Ne le prends pas mal. C’est juste que ton père semblait… (Achille réfléchit intensément, puis jeta un regard à Alban et observa à nouveau la jeune femme.) Comment parlait-il du casque d’Orion ?

-          Si tu crois que parce que tu es notre chauffeur, je vais te révéler des secrets qu’il a gardés durant des années, tu te fourres profondément le doigt dans l’œil !

-          Bien répondu ! fit-il en riant. Mais dis-moi au moins, il parlait d’un métal précis ?

-          Oui, mais c’était une erreur. Selon lui, il s’agissait d’un casque de bronze. Mais le métal  retrouvé en Norvège ne corrobore pas cette théorie. C’est un alliage d’origine inconnue. Il le savait, pourtant il maintenait son idée. "C'est du bronze !" répétait-il souvent.

-          Du bronze… fit Alban pour lui-même. Je m’étais attendu à de l’argent.

-          Mais rien n’assure qu’il s’agisse d’un bronze, ajouta Achille.

-          Excusez-moi, les deux ! De quoi parlez-vous ?

Ils hésitèrent à répondre. Comme d’habitude, Achille prit la parole en premier.

-          Avec Simon, nous supposions plutôt un casque d’argent. Mais ton père y voyait du bronze. C’est dérangeant pour notre théorie.

-          Pourquoi ça, puisque je vous dis que ce n’était pas du bronze mais un métal inconnu ?

-          C’est plus compliqué que ça.

Ne souhaitant clairement rien dire de plus, Sélène n’insista pas, imaginant que les deux hommes avaient simplement élaboré des théories bancales. Mais elle se promit de réserver un bon quart d’heure d’entretien privé avec Simon dès qu’ils l’auraient retrouvé.

Les heures passèrent, lentement. Myrien s’était écarté du groupe et avait utilisé son gaussmètre au-dessus des dunes de sable. Comme prévu, l’aiguille monta de quelques degrés. Il se dirigea à pied de droite à gauche, revenant parfois sur ces pas. L’excitation de découvrir une augmentation significative du magnétisme en plein milieu naturel avait de quoi le rendre euphorique.

A mesure qu’il avançait, les autres le suivirent. Lorsque soudain l’aiguille s’affola sans raison. Myrien fronça les sourcils.

-          Un problème ? fit Alban.

-          Je ne comprends pas bien. J’étais effectivement sur la piste du nœud tellurique lorsque l’aiguille à grimpé à son maximum. C’est comme si le nœud c’était déplacé juste sous mes pieds.

Achille, qui avait entendu, posa une main et un regard appuyé sur Alban. Doucement, progressivement, l’aiguille redescendit et reprit sa place. Myrien, les yeux toujours rivés sur l’instrument, n’en croyait pas ses yeux. Trop excité pour réfléchir, il conclut que c’était une erreur du gaussmètre et se remit en marche.

-          Rien de grave, ça fonctionne à nouveau. J’avais pourtant choisi un modèle de bonne qualité…

A part, les demi-frères échangèrent quelques mots que ni Myrien ni Sélène n’entendirent. Et près d’une heure plus tard, le jeune homme s’arrêta, triomphal, un grand sourire aux lèvres.

-          C’est ici ! Il n’y a pas d’endroit où l’appareil est plus réceptif.

Les autres le regardaient, incrédules. Myrien s’avisa que « ici », il n’y avait rien.

-          A partir de maintenant, nous avons besoin de ces fameuses informations dont dispose Simon. Je note notre emplacement actuel sur le GPS et nous partons le chercher, lança Sélène en se dirigeant vers le véhicule.

Dans quelques heures…


***


Lorsqu’ils arrivèrent à leur point de rendez-vous, Simon les attendait, se balançant d’un pied sur l’autre. Pour Myrien et Sélène, il était tout excité comme une puce. Pour les deux autres, il était nerveux.

-          Prêt à partir ? lança-t-il à la cantonade quand le hummer freina à ses pieds.

-          N’est-ce pas toi qui souhaitais perdre du temps à visiter les pyramides ? répondit Sélène. Je suis sûre qu’ils ne t’ont pas dit à quel point il est ridicule d’affirmer que les égyptiens les ont conçus en faisant rouler des rondins de bois pour transporter des blocs de pierre allant jusqu’à quatre-cent tonnes !

Myrien la coupa aussitôt afin d’éviter un nouveau débat.

-          Oui le fameux over-blog de « stricades » avec l’article « Egypto Logique » de janvier 2011 résume bien tout ça.

-          Tu l’as lu ? fit-elle, soudain rayonnante.

-          Oui, et c’est agréable à lire en plus. Simon, tu pourras y faire un tour… quand nous serons rentrés en France. (Son regard se posa plus attentivement sur le scientifique et fronça les sourcils.) Tu as eu des soucis ?

Sélène remarqua alors que l’homme semblait s’être battu dans le sable. Avec son grand sourire aux lèvres, elle n’avait pas remarqué qu’il était éraflé sur une joue et que ses vêtements étaient plein de poussière.

Les yeux verts de Simon se firent froid comme la mort pendant un instant. Si court que Sélène douta d’avoir bien vu.

-          Une petite mésaventure avec un touriste grincheux à qui je ne revenais pas. Mais tout va bien, comme vous le voyez.

L’explication était étonnante, mais personne ne le contredit.

-          Bon, allons-y maintenant qu’il fait nuit. Après des années de recherches, nous allons enfin découvrir le casque d’Orion !

-          Quand on sait que ça fait des années que le casque perdu est convoité... Après tout, nous ne sommes pas les premiers sur la piste du casque, précisa Achille.

-          Pas faux, conclut la jeune fille. Mais tu vois petit, mon cher Achille. Cela fait des milliers d'années que le casque est perdu, voyons ! Allez, en route !

Assis à l’arrière du véhicule, à côté d’Alban qui écoutait le scientifique parler plus qu’il ne discutait avec lui, Myrien était perdu dans ses pensées. Il avait une étrange sensation depuis qu’ils avaient quitté le point le plus réceptif au gaussmètre. Sélène et Simon étaient au courant pour ses étranges ressentis, la présence de celui qu’il appelait « l’homme des étoiles », sa puissance lorsqu’il ressentait l’Univers autour de lui et en lui. Mais personne ne pouvait le comprendre. Personne n’avait jamais ressenti son trouble, sa force terrible, cette impression qu’il pouvait fendre le ciel d’un seul coup de poing ou briser la pierre d’un simple coup de pied.

Et là, ça revenait, mais de manière plus diffuse.

Il sentait l’homme des étoiles autour de lui, et en même temps très loin de lui, au fin fond du cosmos peut-être. Si loin et si proche à la fois, cette chose l’observait avec une bienveillance sincère, il en était persuadé. De même, l’univers grandissait en lui et se concentrait autour de lui. Plusieurs univers. Comme si chaque personne ici brillait d’une galaxie intérieure qui lui était propre. Il « voyait » ces galaxies colorées, sans pour autant qu’elles soient faites de lumière visible. C’était étrange. Était-ce leur énergie vitale ?

De son côté, chuchotant, Simon répondait à la question muette d’Alban.

-          Des phénix noirs. Le dragon noir était introuvable. Et il pourrait y avoir d’autres chevaliers embusqués. Je te demande d’être sur tes gardes. J’ai demandé à Kinaï de faire venir les vôtres.

-          Combien de…

-          Deux phénix. Enfin, plus aucun à présent. Ils ne portaient pas d’armure alors je me suis chargé d’eux en les attirant dans le désert.

Alban était toujours impressionné par les qualités de son ami au combat. Selon son propre avis, personne n’égalait Simon en combat singulier dans l’actuel sanctuaire, vide de tous ses chevaliers d’or. Vingt années après la guerre sainte, personne n’avait atteint la maîtrise nécessaire pour revêtir l’une de ces armures sacrées.

-          Sois sur tes gardes, mon ami, fit Simon. Ils attaqueront bientôt. Ce soir ou demain, mais je penche pour cette nuit. L’armure viendra à toi lorsque tu brûleras ton cosmos. Achille a déjà été mis au courant par Kinaï.

-          Bien reçu.

Kinaï, songea Alban. Cette homme maîtrisait des pouvoirs désormais uniques en son genre et il n’était pas difficile pour lui de leur faire parvenir leurs armures depuis la Grèce. Si on lui disait, à lui, qu’en brûlant son cosmos l’armure viendrait le revêtir comme par enchantement grâce à ce télépathe, il n’en doutait pas une seule seconde.

Quelques minutes plus tard, tous arrivèrent au point dit et attendirent conformément aux recommandations de Simon que les heures se passent.


***

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