Le Caire.
-
Pas la peine
de perdre de temps, fit Sélène dès qu'ils posèrent pied à terre. On récupère
nos valises…
-
Et mon
coffre-fort ! précisa Simon.
-
… et son
coffre-fort, et on décolle.
Arrivés dans le bâtiment central de
l'aéroport, ils se dirigèrent vers le tapis roulant pour récupérer leurs
affaires. Le tapis faisait passer tous les objets aux rayons X avant de les
remettre à disposition. Sélène et Myrien récupérèrent leurs biens.
Toujours ce mauvais pressentiment, pensait Sélène.
Soudain, cinq hommes de la sécurité
déboulèrent en marchant rapidement dans leur direction.
-
Aïe,
commenta simplement Myrien.
-
A mon avis
c’est "monsieur souillon" qui pose problème.
Comme Sélène l’avait prévu, les cinq
agents formèrent un arc de cercle autour de Simon et de son compagnon en une chorégraphie
presque millimétrée. Avec le barrage que formait le tapis roulant, les
deux acolytes se retrouvaient totalement coincés.
Le plus gradé prit alors la parole avec
un fort accent.
-
Papiers.
Simon et Alban s'exécutèrent sans un
mot, mais surtout sans montrer le moindre étonnement, comme si ce n'était là
qu'une formalité à laquelle ils étaient habitués depuis longtemps.
- Vous transportez
un caisson opaque à nos instruments. De plus, sa taille rend l’objet suspect,
monsieur Dietrich. C’est pourquoi, à des fins de sécurité, vous allez nous
suivre afin de procéder à l'ouverture du caisson et, si besoin est, à un
interrogatoire approfondi. Veuillez donc nous suivre, s'il-vous-plait, et sans
faire de commentaire.
-
Mais
qu'est-ce qui lui a pris de transporter des documents, même secrets, dans un
caisson géant ? fit Sélène en soufflant. Franchement, à part nous apporter ce
genre de problèmes, je n'en vois pas l'intérêt !
Sélène et Myrien voyaient déjà poindre
les ennuis. Mais aucun des deux ne s'attendait à voir ce qu'ils virent.
Simon, qui rentrait la tête devant Sélène, ne semblait nullement impressionné
par les têtes de bulldog des cinq agents.
-
Ce qu'il y a
dans cette caisse, vous n'avez pas à le savoir, répondit le scientifique en
tendant une enveloppe fermée au plus gradé.
L'agent l'ouvrit, lu, jeta un regard
furtif à Simon, reprit sa lecture, replia la lettre, rendit la lettre. Durant
sa lecture, il avait sensiblement pâli.
-
Pardonnez ce
malentendu, monsieur Dietrich. Vous pouvez bien entendu récupérer vos
bagages, je vous en prie. Et au nom de la direction, je vous souhaite un
agréable séjour en Egypte. Veuillez m'excuser pour cette erreur.
Sur ce, ils saluèrent le scientifique et
rebroussèrent chemin aussi vite qu'ils étaient venus, peut-être même un peu plus.
-
On peut
savoir ? demanda Sélène.
-
Autorisation
dûment et conjointement signée par les représentants directs de l'Union
Européenne et de l'Egypte : je peux transporter tout ce que je veux tant qu'il
ne s'agit pas d'arme, et j'ai le droit de garder le silence sur mes cargaisons.
Que voulez-vous, ajouta-t-il d'un air malicieux, il faut savoir protéger ses
arrières. Et ne cherchez même pas à savoir comment j’ai obtenu ce petit
papier : je tiens à mes privilèges !
Sur cet épisode, ils quittèrent l’aéroport avec leurs bagages.
Sélène avait pris soin de louer une
voiture assez spacieuse pour recevoir quatre personnes et tout leur matériel.
Vu la taille du caisson de Simon, elle se félicitait d'avoir vu
large.
Simon l'avait d'ailleurs félicité à son
tour en voyant l'engin démesurément grand qui les attendait.
-
Un hummer ?
Quel choix judicieux !
-
Oui,
répondit la jeune fille. J'ai toujours été contre ces machines qui consomment
plus de cinquante litres au cent kilomètres. Une véritable plaie pour
l'atmosphère. Mais il faudra bien ça pour nous transporter sans encombre à
travers les dunes de sable.
-
Et surtout
pour transporter mon coffre !
-
Merci de ce
détail, Simon. Je crois qu'on a compris à présent que tu as un joli coffre.
La menace sifflait ouvertement dans la
voix de la jeune fille. Se souvenant de son poing contre sa
figure, l’archéologue n'insista pas et pendant une infime seconde, sa tête disparut mystérieusement.
Maintenu par deux lanières de cuir sur
le dos d'Alban, le caisson protégé devait bien mesurer un mètre cube. Malgré la
masse manifestement imposante de l'objet (personne n’aurait osé employer les
termes « d’aluminium ultraléger » pour qualifier ce bloc enroulé d’un
simple drap), le porteur ne semblait pas du tout dérangé par son poids.
-
Pourquoi
est-il recouvert de tissu ? demanda naïvement Myrien.
-
Mais parce
qu'on ne peut pas imaginer être un tant soit peu discret en exposant un bloc
d'aluminium renforcé en pleine rue, répondit l’autre sur le ton de l’évidence.
Mais Sélène ne fut pas dupe et changea
de sujet pour éviter de perdre la face.
-
Au fait
Simon, enchaîna-t-elle en désignant le véhicule, tu as le permis de
conduire pour manipuler ce truc ?
-
Le... quoi ?
***
Sélène était exaspérée. Ne pas avoir
pensé à ça !
-
Donc, résuma
Myrien, personne parmi nous quatre ne sait conduire une voiture ?
Tous répondirent par l'affirmatif, Alban
hochant simplement la tête.
-
Mais je
connais quelqu'un ici, commença le scientifique. Si ça vous intéresse... Si ça
ne vous dérange pas qu'une personne de ma connaissance se joigne à notre petit
groupe…
-
Bon, je
suppose que nous n'avons pas le choix puisque c’est la solution la plus
rapide... Et après tout, je préfère voir arriver quelqu'un dont je sais devoir
me méfier plutôt qu'un inconnu qui gagnerait ma confiance pour me planter dans
le dos.
Simon sourit. Myrien s’interrogeait. Avaient-ils tout prévu ?
***
Ils attendirent leur nouvel invité sur
la terrasse d'un café, à l'écart du centre ville du Caire. L’espace étant bondé,
ils durent se séparer en deux groupes sur deux tables éloignées. Simon et Alban
d'un côté, Sélène et Myrien de l'autre. Il faisait
une chaleur étouffante et même le thé glacé du jeune homme ne suffit
pas à le rafraîchir. Sélène n'était pas en meilleur état et se plaignait sans
cesse.
-
J'aime la
pluie, moi ! Pas le chaud. Pas ça ! (Elle jeta un regard alentour en écartant les bras, désignant la chaleur qui rendait les horizons flous, puis
tourna la tête en direction de la table de Simon avant de reporter à nouveau
son attention sur Myrien.) Finalement, il n'est pas si muet que ça, le nippon.
Myrien se tourna et vit qu’effectivement
les deux hommes devisaient, même si Simon semblait souvent couper la parole à
son interlocuteur.
-
Pour tout
dire, fit-il, il n'a pas vraiment l'air de parler… ni vraiment l’air d'un
porteur, d’ailleurs.
-
Sans blague
? Et je te parie ta paie du mois que cet « Achille » qui doit nous
rejoindre n'aura pas du tout l'air d'un chauffeur.
-
Je
ne parierai pas sur ça avec toi ! fit Myrien en riant.
Sélène le regarda plus intensément,
soudain très sérieuse :
-
Bon, pour
une fois que nous sommes seuls, je me lance. Myrien, depuis que nous nous sommes
rencontrés, j'ai constaté des choses très bizarres. J'ai une sensation qui ne
cesse de grandir, de devenir plus présente, comme un vieux ressenti qui se
réveillerait après un long sommeil. C’est très bizarre à expliquer, je n’arrive
pas bien à mettre les mots dessus. C’est comme quand je sens une odeur de mon
enfance sans parvenir à trouver à quoi elle se rapporte. D'ordinaire je n'en
parlerais à personne... mais après ce que tu m'as toi-même avoué, ce n'est pas
toi qui me prendras pour une folle.
-
Oui, ce
n’est pas moi qui pourrai te juger ! Tu saurais en dire plus ?
Il avait volontairement posé sa question de manière très simple, pour ne
pas influencer le discours de son amie. Il avait besoin de savoir si elle
ressentait vraiment la même chose que lui.
-
Bon, déjà il
faut savoir que j'ai toujours eu une bonne intuition. Mais depuis deux jours,
j'ai vraiment l'impression que tout est plus fort. Avant, je me trompais
parfois, parce que ce n'était "qu'une intuition", mais maintenant j'ai
l'impression que ça devient aussi fort que mes autres sens, voire même plus.
J'ai envie de davantage me fier à ces sensations qui parcourent mon corps
plutôt qu’à mes yeux ou mon ouïe. Là par exemple...
-
Oui ? fit-il
pour l'encourager à continuer. Que te dit ton intuition ?
-
Elle ne me
"dit" rien. Elle me crie de rester sur mes gardes ! Je ... perçois
une sorte de danger diffus, en ce moment même, et ce depuis notre arrivée à
l'aéroport de Paris. Et dans l'avion également. Ça nous suit. Et puis aussi, je
sens que Simon nous cache des choses. C’est pour cela que je me méfie.
-
Je resterai
sur mes gardes, moi aussi, promit Myrien pour la rassurer.
-
Ah ! Ils se
lèvent. Notre Achille doit être arrivé. Bon, Myrien, si tu parles de tout ça au
crouton qui nous accompagne, ou même à qui que ce soit d’autre, ajouta-t-elle en
chuchotant, je te lamine à coups de pelle à tarte ! Compr…
La dernière phrase de Sélène mourut dans
sa gorge lorsqu’elle vit ce que son compagnon ne voyait pas encore, car placé
dos à la table du scientifique.
-
... Non,
fit-elle incrédule. C'est pas ce tueur à gage, j'espère ?
Sélène n'en croyait pas ses yeux. Le
personnage qui marchait à côté de Simon et Alban faisait peur à voir. Un
quelque chose chez lui faisait penser à un serpent. Si elle ne s'était pas
immédiatement concentrée sur son ressenti qui lui informait que cet homme ne
leur voulait pas de mal pour le moment, bien qu'il soit extrêmement dangereux, ses yeux l'auraient amené à refuser catégoriquement
l'aide de cette personne. Elle fit donc un effort sur elle-même et les laissa
venir à leur rencontre.
Intuition ou
pas, il faut avouer quand même que ce gars fait aussi peur qu'une gargouille, pensa-t-elle. Au moins !
Les trois hommes rejoignirent
l'organisatrice de l'expédition et son compagnon à travers la foule répandue
sur la terrasse. Simon fit les présentations sans attendre et Myrien sursauta
en l’entendant parler derrière lui.
-
Jeunes gens,
voici Achille, notre conducteur et, attention au scoop, frère de notre
porteur attitré, Alban.
-
Reuhm. Demi-frère
pour être exacte, fit le nouvel arrivé. Et malgré nos tailles, c’est moi le
plus vieux.
Myrien fut littéralement cloué sur sa
chaise. Il observa le nouveau venu qui se déplaça pour éviter au jeune homme de
se tordre le cou.
D’origine japonaise tout comme son
demi-frère, Achille n’avait vraiment rien de comparable avec celui-ci. Alban
était un homme large d’épaules et de visage, avec des traits carrés et un air
sérieux. Plus petit que son frère, Achille aurait
pu être son parfait inverse. Son crâne était rasé et il avait le teint extrêmement
pâle, comme maladif. Son visage était très fin, ce qui était accentué par une
mâchoire en « V » et un nez aquilin. Ses yeux aux pupilles larges
étaient presque parfaitement noirs et il n’avait plus de sourcils sur ses
arcades sourcilières proéminentes. Le corps plus frêle que celui de son frère,
les épaules un peu voûtées, il marchait avec un air chaloupé et un
indéchiffrable sourire sur le visage. Quand Myrien l’avait vu faire le dernier
mètre, il lui avait fait penser à un reptile. C’était étrange, cette personne
avait un quelque chose de drôle avec son sourire et il aurait pu avoir l’air
sympathique… si son apparence n’était pas aussi effrayante.
Achille parut se rendre compte de la
gêne qu’éprouvait le jeune homme sur son apparence car il s’empressa
d’ajouter :
-
Empoisonnement
d’origine inconnue, expliqua-t-il en écartant les bras en signe d’impuissance.
J’ai déplu à certaines personnes à qui il aurait mieux valu ne pas déplaire.
J’ai échappé à la mort de justesse mais mon corps a gardé quelques souvenirs de
ce mauvais moment. Mais si on y réfléchit bien, je m’en sors plutôt pas
mal ! Haha !
-
Oui, c’est
sûr… acquiesça Myrien par politesse tout en se demandant quel poison pouvait
laisser un homme dans un tel état.
-
Bon,
lâcha Sélène, puisque tout le monde est là, nous n’avons plus qu’à partir.
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