jeudi 20 septembre 2012

Les nouveaux compagnons (2)





Le Caire.

-          Pas la peine de perdre de temps, fit Sélène dès qu'ils posèrent pied à terre. On récupère nos valises…
-          Et mon coffre-fort ! précisa Simon.
-          … et son coffre-fort, et on décolle.

Arrivés dans le bâtiment central de l'aéroport, ils se dirigèrent vers le tapis roulant pour récupérer leurs affaires. Le tapis faisait passer tous les objets aux rayons X avant de les remettre à disposition. Sélène et Myrien récupérèrent leurs biens.

Toujours ce mauvais pressentiment, pensait Sélène.
Soudain, cinq hommes de la sécurité déboulèrent en marchant rapidement dans leur direction.
-          Aïe, commenta simplement Myrien.
-          A mon avis c’est "monsieur souillon" qui pose problème.

Comme Sélène l’avait prévu, les cinq agents formèrent un arc de cercle autour de Simon et de son compagnon en une chorégraphie presque millimétrée. Avec le barrage que formait le tapis roulant, les deux acolytes se retrouvaient totalement coincés.
Le plus gradé prit alors la parole avec un fort accent.
-          Papiers.
Simon et Alban s'exécutèrent sans un mot, mais surtout sans montrer le moindre étonnement, comme si ce n'était là qu'une formalité à laquelle ils étaient habitués depuis longtemps.

-    Vous transportez un caisson opaque à nos instruments. De plus, sa taille rend l’objet suspect, monsieur Dietrich. C’est pourquoi, à des fins de sécurité, vous allez nous suivre afin de procéder à l'ouverture du caisson et, si besoin est, à un interrogatoire approfondi. Veuillez donc nous suivre, s'il-vous-plait, et sans faire de commentaire.

-          Mais qu'est-ce qui lui a pris de transporter des documents, même secrets, dans un caisson géant ? fit Sélène en soufflant. Franchement, à part nous apporter ce genre de problèmes, je n'en vois pas l'intérêt !

Sélène et Myrien voyaient déjà poindre les ennuis. Mais aucun des deux ne s'attendait à voir ce qu'ils virent.
Simon, qui rentrait la tête devant Sélène, ne semblait nullement impressionné par les têtes de bulldog des cinq agents.

-          Ce qu'il y a dans cette caisse, vous n'avez pas à le savoir, répondit le scientifique en tendant une enveloppe fermée au plus gradé.

L'agent l'ouvrit, lu, jeta un regard furtif à Simon, reprit sa lecture, replia la lettre, rendit la lettre. Durant sa lecture, il avait sensiblement pâli. 

-          Pardonnez ce malentendu, monsieur Dietrich. Vous pouvez bien entendu récupérer vos bagages, je vous en prie. Et au nom de la direction, je vous souhaite un agréable séjour en Egypte. Veuillez m'excuser pour cette erreur.
Sur ce, ils saluèrent le scientifique et rebroussèrent chemin aussi vite qu'ils étaient venus, peut-être même un peu plus.

-          On peut savoir ? demanda Sélène.
-          Autorisation dûment et conjointement signée par les représentants directs de l'Union Européenne et de l'Egypte : je peux transporter tout ce que je veux tant qu'il ne s'agit pas d'arme, et j'ai le droit de garder le silence sur mes cargaisons. Que voulez-vous, ajouta-t-il d'un air malicieux, il faut savoir protéger ses arrières. Et ne cherchez même pas à savoir comment j’ai obtenu ce petit papier : je tiens à mes privilèges !

Sur cet épisode, ils quittèrent l’aéroport avec leurs bagages.

Sélène avait pris soin de louer une voiture assez spacieuse pour recevoir quatre personnes et tout leur matériel. Vu la taille du caisson de Simon, elle se félicitait d'avoir vu large.

Simon l'avait d'ailleurs félicité à son tour en voyant l'engin démesurément grand qui les attendait.
-          Un hummer ? Quel choix judicieux !
-          Oui, répondit la jeune fille. J'ai toujours été contre ces machines qui consomment plus de cinquante litres au cent kilomètres. Une véritable plaie pour l'atmosphère. Mais il faudra bien ça pour nous transporter sans encombre à travers les dunes de sable.
-          Et surtout pour transporter mon coffre !
-          Merci de ce détail, Simon. Je crois qu'on a compris à présent que tu as un joli coffre.

La menace sifflait ouvertement dans la voix de la jeune fille. Se souvenant de son poing contre sa figure, l’archéologue n'insista pas et pendant une infime seconde, sa tête disparut mystérieusement.

Maintenu par deux lanières de cuir sur le dos d'Alban, le caisson protégé devait bien mesurer un mètre cube. Malgré la masse manifestement imposante de l'objet (personne n’aurait osé employer les termes « d’aluminium ultraléger » pour qualifier ce bloc enroulé d’un simple drap), le porteur ne semblait pas du tout dérangé par son poids.

-          Pourquoi est-il recouvert de tissu ? demanda naïvement Myrien.
-          Mais parce qu'on ne peut pas imaginer être un tant soit peu discret en exposant un bloc d'aluminium renforcé en pleine rue, répondit l’autre sur le ton de l’évidence.
Mais Sélène ne fut pas dupe et changea de sujet pour éviter de perdre la face.
-          Au fait Simon, enchaîna-t-elle en désignant le véhicule, tu as le permis de conduire pour manipuler ce truc ?
-          Le... quoi ?


***


Sélène était exaspérée. Ne pas avoir pensé à ça !

-          Donc, résuma Myrien, personne parmi nous quatre ne sait conduire une voiture ?

Tous répondirent par l'affirmatif, Alban hochant simplement la tête.

-          Mais je connais quelqu'un ici, commença le scientifique. Si ça vous intéresse... Si ça ne vous dérange pas qu'une personne de ma connaissance se joigne à notre petit groupe…
-          Bon, je suppose que nous n'avons pas le choix puisque c’est la solution la plus rapide... Et après tout, je préfère voir arriver quelqu'un dont je sais devoir me méfier plutôt qu'un inconnu qui gagnerait ma confiance pour me planter dans le dos.
Simon sourit. Myrien s’interrogeait. Avaient-ils tout prévu ?

***

Ils attendirent leur nouvel invité sur la terrasse d'un café, à l'écart du centre ville du Caire. L’espace étant bondé, ils durent se séparer en deux groupes sur deux tables éloignées. Simon et Alban d'un côté, Sélène et Myrien de l'autre. Il faisait une chaleur étouffante et même le thé glacé du jeune homme ne suffit pas à le rafraîchir. Sélène n'était pas en meilleur état et se plaignait sans cesse.

-          J'aime la pluie, moi ! Pas le chaud. Pas ça ! (Elle jeta un regard alentour en écartant les bras, désignant la chaleur qui rendait les horizons flous, puis tourna la tête en direction de la table de Simon avant de reporter à nouveau son attention sur Myrien.) Finalement, il n'est pas si muet que ça, le nippon.

Myrien se tourna et vit qu’effectivement les deux hommes devisaient, même si Simon semblait souvent couper la parole à son interlocuteur.

-          Pour tout dire, fit-il, il n'a pas vraiment l'air de parler… ni vraiment l’air d'un porteur, d’ailleurs.
-          Sans blague ? Et je te parie ta paie du mois que cet « Achille » qui doit nous rejoindre n'aura pas du tout l'air d'un chauffeur.
-          Je ne parierai pas sur ça avec toi ! fit Myrien en riant.

Sélène le regarda plus intensément, soudain très sérieuse :
-          Bon, pour une fois que nous sommes seuls, je me lance. Myrien, depuis que nous nous sommes rencontrés, j'ai constaté des choses très bizarres. J'ai une sensation qui ne cesse de grandir, de devenir plus présente, comme un vieux ressenti qui se réveillerait après un long sommeil. C’est très bizarre à expliquer, je n’arrive pas bien à mettre les mots dessus. C’est comme quand je sens une odeur de mon enfance sans parvenir à trouver à quoi elle se rapporte. D'ordinaire je n'en parlerais à personne... mais après ce que tu m'as toi-même avoué, ce n'est pas toi qui me prendras pour une folle.
-          Oui, ce n’est pas moi qui pourrai te juger ! Tu saurais en dire plus ?

Il avait volontairement posé sa question de manière très simple, pour ne pas influencer le discours de son amie. Il avait besoin de savoir si elle ressentait vraiment la même chose que lui.

-          Bon, déjà il faut savoir que j'ai toujours eu une bonne intuition. Mais depuis deux jours, j'ai vraiment l'impression que tout est plus fort. Avant, je me trompais parfois, parce que ce n'était "qu'une intuition", mais maintenant j'ai l'impression que ça devient aussi fort que mes autres sens, voire même plus. J'ai envie de davantage me fier à ces sensations qui parcourent mon corps plutôt qu’à mes yeux ou mon ouïe. Là par exemple...
-          Oui ? fit-il pour l'encourager à continuer. Que te dit ton intuition ?
-          Elle ne me "dit" rien. Elle me crie de rester sur mes gardes ! Je ... perçois une sorte de danger diffus, en ce moment même, et ce depuis notre arrivée à l'aéroport de Paris. Et dans l'avion également. Ça nous suit. Et puis aussi, je sens que Simon nous cache des choses. C’est pour cela que je me méfie.
-          Je resterai sur mes gardes, moi aussi, promit Myrien pour la rassurer.
-          Ah ! Ils se lèvent. Notre Achille doit être arrivé. Bon, Myrien, si tu parles de tout ça au crouton qui nous accompagne, ou même à qui que ce soit d’autre, ajouta-t-elle en chuchotant, je te lamine à coups de pelle à tarte ! Compr…
La dernière phrase de Sélène mourut dans sa gorge lorsqu’elle vit ce que son compagnon ne voyait pas encore, car placé dos à la table du scientifique.
-          ... Non, fit-elle incrédule. C'est pas ce tueur à gage, j'espère ?

Sélène n'en croyait pas ses yeux. Le personnage qui marchait à côté de Simon et Alban faisait peur à voir. Un quelque chose chez lui faisait penser à un serpent. Si elle ne s'était pas immédiatement concentrée sur son ressenti qui lui informait que cet homme ne leur voulait pas de mal pour le moment, bien qu'il soit extrêmement dangereux, ses yeux l'auraient amené à refuser catégoriquement l'aide de cette personne. Elle fit donc un effort sur elle-même et les laissa venir à leur rencontre.

Intuition ou pas, il faut avouer quand même que ce gars fait aussi peur qu'une gargouille, pensa-t-elle. Au moins !

Les trois hommes rejoignirent l'organisatrice de l'expédition et son compagnon à travers la foule répandue sur la terrasse. Simon fit les présentations sans attendre et Myrien sursauta en l’entendant parler derrière lui.

-          Jeunes gens, voici Achille, notre conducteur et, attention au scoop, frère de notre porteur attitré, Alban.
-          Reuhm. Demi-frère pour être exacte, fit le nouvel arrivé. Et malgré nos tailles, c’est moi le plus vieux.

Myrien fut littéralement cloué sur sa chaise. Il observa le nouveau venu qui se déplaça pour éviter au jeune homme de se tordre le cou.

D’origine japonaise tout comme son demi-frère, Achille n’avait vraiment rien de comparable avec celui-ci. Alban était un homme large d’épaules et de visage, avec des traits carrés et un air sérieux. Plus petit que son frère, Achille aurait pu être son parfait inverse. Son crâne était rasé et il avait le teint extrêmement pâle, comme maladif. Son visage était très fin, ce qui était accentué par une mâchoire en « V » et un nez aquilin. Ses yeux aux pupilles larges étaient presque parfaitement noirs et il n’avait plus de sourcils sur ses arcades sourcilières proéminentes. Le corps plus frêle que celui de son frère, les épaules un peu voûtées, il marchait avec un air chaloupé et un indéchiffrable sourire sur le visage. Quand Myrien l’avait vu faire le dernier mètre, il lui avait fait penser à un reptile. C’était étrange, cette personne avait un quelque chose de drôle avec son sourire et il aurait pu avoir l’air sympathique… si son apparence n’était pas aussi effrayante.

Achille parut se rendre compte de la gêne qu’éprouvait le jeune homme sur son apparence car il s’empressa d’ajouter :

-          Empoisonnement d’origine inconnue, expliqua-t-il en écartant les bras en signe d’impuissance. J’ai déplu à certaines personnes à qui il aurait mieux valu ne pas déplaire. J’ai échappé à la mort de justesse mais mon corps a gardé quelques souvenirs de ce mauvais moment. Mais si on y réfléchit bien, je m’en sors plutôt pas mal ! Haha !
-          Oui, c’est sûr… acquiesça Myrien par politesse tout en se demandant quel poison pouvait laisser un homme dans un tel état.
-          Bon, lâcha Sélène, puisque tout le monde est là, nous n’avons plus qu’à partir.


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